Livre/ À l'encre de la passion: Une tentative d’exorcisme de l’âme par les mots
Livre/ À l'encre de la passion: Une tentative d’exorcisme de l’âme par les mots
Certainement pour se soigner, échapper à la grisaille et se réfugier dans un monde de merveilles, Ekoua a passé le plus clair de son temps à écrire beaucoup et un peu de tout. Ce tout donne un recueil de 47 nouvelles de très inégales longueurs qui constitue un drôle d’objet littéraire. Il ressemble un peu à tous ces nouveaux centres commerciaux, Carrefour, Sococé, Super Hayat, Top budget qui foisonnent en ville en ce moment : on y trouve tout et pour toutes les bourses.
Dans le centre commercial comme dans ce livre, la première des choses que l’on trouve, c’est la climatisation, l’air conditionné. On est tout de suite happé par cet air frais et agréable qui nous soustrait de l’ambiance souvent trop chaude et étouffante du dehors. Mais même à la « climatisation », il faut s’acclimater pour se sentir bien. L’air conditionné fait du bien à quelque condition ! Alors on se met à flâner, à traîner le pas parce qu’on veut d’abord profiter de cette atmosphère recréée pour notre confort.
Apparaissent alors les premiers rayons. Ils sont essentiellement composés de succession de nouvelles très et même trop variées finissant par affecter la composition et l’articulation du livre. « Une incursion dans l’imaginaire » de 38 pages, « L’âme lyrique » 10 pages ; « Les cris de cœur » 82 pages et « Et si la fin présentait la genèse » 3 pages sont les quatre parties du livre.
A Damara, un sous-quartier des deux plateaux, une belle inconnue Amina présente des atouts physiques qui font perdre la tête a bien de jeunes dont Franck (gérant de cabine bien que sur diplômé) qui va payer très cher sa tentative de séduction puisqu’il va finir par être accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis.
Dans le rayon « A fleurs de saveur », Nath et Malia qui ne se parlent pas vont se rapprocher grâce à un malentendu à propos de fleurs. Il y a une emballée dans une histoire où des amoureux sont coincés entre demain et aujourd’hui pour ne jamais arriver à se rencontrer. Juste à côté, il y a un peu de délire contracté par un écrivain traumatisé par le syndrome de la page blanche qui finit par convoquer son propre personnage dans son salon. Et puis dans l’étagère en bas, il y a un collier maléfique qui sème la zizanie dans la tête d’une adolescente trop curieuse.
C’est vrai que les histoires s’enchaînent bien, mais les niveaux sont inégaux et comme dans tous les centres commerciaux, il faut parfois se baisser ou alors se mettre sur la pointe des pieds pour bien voir les produits… Et quand on a fini le long rayon des courtes nouvelles, nous voilà bifurquant au rayon poésie. Il est éclairé de toutes sortes de spotlights et se moque de faire basculer les méninges entre français et anglais.
Au rayon poésie, l’auteur (é) prouve son bilinguisme et le mot se veut moteur, mais le verbe évite de déraper dans le verbiage. Au rayon poésie, on a sorti la lyre antique, mais ce n’est pas toujours le délire. Il y a parfois bien trop de retenue ou bien trop d’entrain (c’est le propre des premiers textes) alors on s’échappe.
Quelques petits pas suffisent pour tomber sur le plus gros rayon de ce recueil. On a du mal à lui trouver un nom clair et défini parce qu’il y a vraiment beaucoup d’étiquettes. C’est dans la panoplie des modes et modernités littéraires de ces dernières qu’on finit par trouver les termes qui lui vont parfaitement : coaching et développement personnel. On entame un long défilé d’où la parole tombe d’en haut pour nous éclairer sur le partage d’une expérience de vie.
Quand de temps en temps on lève la tête, c’est pour se demander comment un si court parcours de vie- Ekoua est très jeune- a pu donner un si long chemin de réflexion, d’expérience, d’idées, de propositions souvent assénées de façon péremptoire. Vraiment « aux âmes bien nées… », c’est Pierre Corneille qui le disait en décembre 1636 dans le Cid. Mais on n’a pas le temps de s’arrêter sur les dates de péremptions des citations, les leçons de vie pleuvent à tout va.
On a hâte d’aller jusqu’au bout pour voir comment cela va se terminer. Et c’est dans le dernier rayon, un tout petit rayon tout riquiqui que l’on comprend tout. Ce rayon est sculpté dans une étrange forme oxymore : c’est une genèse finale. Une fin qui feint un début ou un début qui est le commencement d’une fin ou peut-être même une fin qui est le départ d’une arrivée… enfin, chacun fera sa fin, personne ne restera sur sa faim et si on est fin, on saura que cela n’a pas d’importance parce que seul compte le chemin.
C’est déjà le moment de passer à la caisse, de payer en fonction de ce que l’on a pris dans les rayons. 15 euros proposera Edilivre, son éditeur que les Ivoiriens voudront bien dédommager en donnant 10000f. Retour dans la chaleur des jours et de la vie. Une fois hors du centre commercial, dans la réalité de l’existence, c’est un tic de consommateur de regarder (encore ?) de plus près ce qu’on a acheté et on voit une iconographie (la couverture du livre).
Elle est d’un rose de la brume. Ce rose brumeux fonctionne comme une altération de la rêverie qui s’en trouve affectée. Il pourrait traduire aussi la déception de l’auteur devant l’arène politique détentrice du pouvoir qui en fait mauvais usage. En nous référant au contenu de nouvelles comme « Duo de l’enfer » ou « Blessure d’enfance » et à quelques extraits dont celui de la page 152 : « Pouvoir, pire que la peste tu ne cesses de détruire, l’essentiel de la vie. Que de ravage à cause de toi, fléau auxquels succombent les hommes ». Sur ce rose brumeux, de l’encre jetée telle déjection et fèces. La plume ne sert-elle pas à soulager et se soulager ?
L’encre court et coule jusqu’à la 4e de couverture traduisant l’incapacité qu’à le monde alentour de la contenir. C’est dire sûrement la souffrance de l’auteure à la mesure de laquelle s’étale son écrire. Un écrire thérapeutique car pour la première fois Ekoua josé-Maria Danho parle sans être interrompue, des siens, de son père- un élu politique- qu’elle aime intensément. Un écrire qui permet à l’auteure de réparer ses souvenirs, de repriser ses réminiscences et leur donner valeurs à ses yeux. Pas aux yeux de tous. Peut-être. A-t-on vraiment l’unanimité ?
Bien entendu « A l’encre de la passion » est victime comme maints premiers livres d’un trop plein, de cette envie de tout dire, de trop en faire, comme si l’on, écrirait plus jamais. Il est pénalisé par endroits, par une hyper écriture. Il est fait de quelques généralités agaçantes et des avis trop péremptoires qui ne rapprochent pas José-Maria Ekoua de son homonyme José Maria de Heredia le parnassien devenu français un siècle avant la naissance d’Ekoua et à qui l’on doit « Les trophées », comprenant 118 sonnets qui expliquent aux autres l’histoire du monde comme ‘‘Les conquérants’’. José-Maria Ekoua, elle, explique à d’autres ce qu’elle éprouve aujourd’hui ou ce qu’elle a ressenti autrefois. « A l’encre de la passion » son premier livre peut être perçu comme un véritable exorcisme de l’âme par les mots.
L’écriture lui permet de prendre du recul, de dédramatiser et d’accepter une vie : la sienne.
ALEX KIPRE
Ekoua José-Maria Danho, "À l'encre de la passion", Edilivre Roman 2016, 158 pages